Nevers Texte de Marguerite Duras Montage de Claire Deluca et Sophie Lahayville Musique de Paul Wehage Avec Claire Deluca, Sophie Lahayville, Comédiennes et Paul Wehage, Saxophone
Présentation de Joëlle Pagès-Pindon
Le spectacle intitulé Nevers, ici présenté, est une création théâtrale originale : il s’agit d’un montage réalisé par les comédiennes Claire Deluca et Sophie Lahayville à partir des textes que Marguerite Duras a écrits en marge d’Hiroshima mon amour. En 1960, Duras publie chez Gallimard le texte du scènario et dialogue qu’elle a écrit pour le film d'Alain Resnais, Hiroshima mon amour, suivi d’une trentaine de pages intitulées « Appendices ». . Ces Appendices sont constitués de quatre parties : Les Evidences nocturnes (Notes sur Nevers) ; Nevers (Pour mémoire) ; Portrait du Japonais ; Portrait de la Française. Dans le film d’Alain Resnais, les séquences qui se déroulent à Nevers et qui sont constituées d‘images muettes, sont un contrepoint aux séquences d’Hiroshima, qu’elles contribuent à expliquer. Les Appendices, au contraire, font exister de façon autonome la jeunesse de l’héroïne à Nevers, sa passion pour un soldat allemand tué à la fin de la guerre, sa condition de femme tondue à la Libération. Ces notes ont été rédigées par Marguerite Duras pour guider le cinéaste dans sa compréhension du personnage de la Française, interprété par Emmanuelle Riva. Duras y donne libre cours à son imaginaire : elle crée de nouveaux personnages (le père et la mère de l’héroïne), développe des épisodes, livre sa vision de la guerre . Car l’histoire de celle que Duras appelle « la petite tondue de Nevers » entre en résonance particulière avec l’histoire personnelle de l’écrivain : Èvoquant les années de guerre 1939-1945, dont Marguerite Duras est sortie marquée à jamais, ces Appendices annoncent des thèmes qu’elle mettra près de quarante ans à aborder directement dans son oeuvre avec le cycle des Aurelia Steiner, La Douleur, ou encore certains passages de L’Amant. Dans l’adaptation théâtrale réalisée par Claire Deluca et Sophie Lahayville, ce sont deux voix féminines qui se répondent. D’abord Claire Deluca, interprète privilégiée de Duras dont elle créa les premières pièces de théâtre (Les Eaux et Forêts, La Musica, Le Shaga et Yes, peut-être), porte la voix même de l‘écrivain. Ce qui se donne alors à entendre, c‘est la parole singulière de l’auteur. A côté d’elle, à la fois proche et lointaine, Sophie Lahayville prête à la jeune fille de Nevers en proie à l‘intensité de la passion et du malheur une voix bruissante de toutes les voix des héroïnes durassiennes de dix-huit ans, celles d’Aurélia, d’Agatha ou de Savannah. En contrepoint, ni paraphrase ni scansion, Paul Wehage fait surgir la modulation particulière du saxophone. Singulière et envoûtante, sa phrase musicale vient recueillir, dans le creux de la parole, le corps immatériel de nos émotions partagées. © Joëlle Pagès-Pindon Agrégée des lettres, Professeur de Chaire supérieure à Paris Auteur de Marguerite Duras, Editions Ellipses Impressions sur Nevers par Jean-Thierry Boisseau
Trouville dimanche 2 octobre. On se promène sur la plage, le chien cherche un éventuel bout de bois pour jouer. Le vent ne le décoiffe pas, il le coiffe, raie au milieu comme un garçon de café des années vingt .
Les Roches noires. Il est quinze heures, un jour d'automne. On voit de la plage une curieuse agitation derrière la baie centrale, qui, juste en dessous des colonnes engagées corinthiennes, fait avec elles une discrète mais efficace référence palladienne au beau milieu de cette grande façade de luxueuse caserne, comme ça (sans raison, ce qui est, on le sait, la meilleure) ... Je ne suis pas aux Roches noires pour Proust, pour Monet, et les autres, j'y suis donc pour Duras, forcément... Une conférence et, et quoi au juste ? Une pièce de Duras ? non. Une lecture de Duras ? pas plus. Un "montage" ? ah ! le vilain mot.. pas davantage... Non, une chose étonnante. Deux comédiennes, un saxophoniste et les appendices que Duras écrivit pour le scénario de Hiroshima mon amour. Nevers, que s'est-il passé à Nevers? Qu'a-t-elle vécu avant le déshonneur... avant d'être tondue... Claire Deluca est la voix qui raconte, le coryphée dit-elle, Sophie Lahayville, c'est elle la petite tondue de Duras, et puis Paul Wehage, saxophoniste et compositeur à qui on a confié la tâche, non d'illustrer, mais de prendre le relais quand le verbe n'en peut plus, par petites touches.
Le hall des Roches noires, revu par Mallet-Stevens et préservé pour l'essentiel, mais dont les bandeaux de papiers marouflés de Charles Gir se décolent, enduit de ce torchis des années soixante dix, ce hall des Roches noires où Duras a tant écrit, et sans doute tant regardé la mer, ce hall est le théâtre furtif de cette magie.
Pas de scène, un petit plateau fait de quelques Samia de base, un fauteuil club avachi. Pas d'éclairage véritable si ce n'est le soleil qui, "côté jardin", jouant avec les imprévisibles nuages de l'automne, offre une succession ininterrompue de variations lumineuses.
J'aime les comédiennes qui ne surjouent pas, j'aime les comédiennes qui ont un vrai timbre de voix. J'aime les instrumentistes qui savent ce que "son" veut dire, j'aime les compositeurs qui ont une pensée musicale forte et savent la maîtriser. J'aime ces trois personnes ce jour là qui disent ce texte méconnu empreint de cette si belle efficacité poétique de Duras , une efficacité curieusement mauriacienne.... Sans effets inutiles, l'essentiel, le ton, la musique. L'émotion. Le temple du feu d'Ateshgah est une construction de petite taille, l'effet qu'il produit est comparable à celui que peut produire Chartres, par exemple. Nevers est un spectacle fait avec trois fois rien, mais il produit autant d'émotion qu'un opéra... Qu'on se le dise! |
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